Jean-Marc Calvet ou Les Scénarios du peintre
Rien dans ce que nous avons vu jusqu’ici de la peinture de Jean-Marc Calvet ne contredit l’impression première d’une aventure de cinéma. Tout dans l’histoire du héros, au contraire, semble se prêter à l’adaptation cinématographique ; car, s’il est vrai que le film réalisé par Dominic Allan se présente comme un documentaire, c’est aussi qu’aucune fiction n’eût pu convenir à un sujet aussi proche par lui-même de la fiction. L’autofiction, dans le roman, est à la mode – mais ce que nous avons là en est très éloigné : c’est bien d’une vie de cinéma que nous entendons parler et de cette vie, telle que Jean-Marc Calvet – ou telle que Marco l’a vécue, est sortie une œuvre dont nous devons aujourd’hui tâter la substance et la nature particulières. Deux mots seulement viendront à l’esprit – ceux qu’André Breton employa dans l’Amour fou : « explosante fixe ». Quoi de plus cinématographique que ces mots-là ? Seule la fréquentation assidue, obsessionnelle des salles obscures et l’accoutumance de la rétine à une exposition permanente et pourtant sans cesse interrompue par la succession saccadée des images ont pu faire prononcer une telle phrase : « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. » [1]
Au moment où ces lignes furent écrites, l’auteur était tout près de rencontrer Jacqueline Lamba dans le spectacle aquatique où elle faisait l’ondine. Telles étaient les circonstances d’où naîtraient l’un des plus grands textes du surréalisme. De tous ceux que cette parole a su prendre un jour, il en est plus d’un qui reconnaîtra Marco comme l’un des siens. Ce n’est pas sans raison, sans doute, que son travail parvient au public parisien par un film et une exposition. Après une première présentation dans une galerie parisienne en 2006, qui nous permit de voir pour la première fois des peintures que nous ne connaissions jusque-là qu’indirectement, son travail fut régulièrement présenté par Monkdogz Urban Art à New York, puis vint le projet du film que nous pouvons aujourd’hui voir. Avant – car il faut toujours un avant – une amie de toujours, Valérie Haffen, nous racontait l’histoire hallucinée d’une éclosion par la couleur, d’une découverte progressive dans l’obscurité d’une chambre où des nains, peut-être, ou d’autres créatures de légendes avaient caché des pots de peinture. Cela aurait pu être une scène de Fantasia. Pourtant, de ce moment précisément datable nous vîmes apparaître peu à peu des œuvres d’une lumière intense dans l’arrière-salle d’un restaurant nicaraguayen. Une peuplade infinie commençait à proliférer pour notre plus grand plaisir. La carrière d’un artiste se dessinait, vers lequel se tournaient de plus en plus d’habitués des lieux d’exposition – souvent à distance, d’ailleurs, car Jean-Marc Calvet comprit vite que, pour que l’explosion picturale de ses toiles ait sa chance dans un univers empli d’images, il lui fallait tirer avantage de son éloignement géographique : il devint un boulimique d’internet, saisissant comme Basquiat ou Keith Haring avant lui que tous les moyens de communication du moment peuvent être mobilisés pour rendre publique une image.
Tel serait donc l’un de ces scénarios… Non content de produire comme peu le font – il faudrait en appeler à Antonin Artaud et au Henri Michaux de la connaissance par les gouffres pour décrire l’urgence de faire dont cette peinture témoigne. Mais est-ce utile ? Elle parle d’elle-même et c’est même d’une parole étrangement forte chez un si jeune artiste – qui a vécu tant de vies antérieures – qu’elle s’adresse aujourd’hui à vous. Longue vie au film de Dominic Allan, longue vie à la peinture de Jean-Marc Calvet ! Qu’elle continue sa germination spontanée et qu’elle envahisse galeries, intérieurs et musées…
François Michaud, conservateur au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (écrit à l’occasion de la sortie du film Calvet de Dominic Allan)
[1] André Breton, L’Amour fou (1937), Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 687.